Order-from-noise

Order-from-noise

Le monde tel qu'on s'assemble


Errare humanum est, perseverare diabolicum …

Le biais de la cause unique

 

Lorsqu'il s'agit d'intervenir pour améliorer certaines situations, la solution revient souvent à rechercher la cause unique qui en règle la course. Toutefois, lorsque les composants d'un système sont rigidement connectés les uns aux autres par un réseau d'interactions dense, l’existence de rétroactions y sera alors fréquente au point de rendre impossible la distinction entre les effets et les causes. Or, parce que chacun agit le plus souvent "toute chose égale par ailleurs", nous négligeons de prendre en compte le retentissement de nos actions sur les conditions initiales du système qui auront nécessairement évolué rendant, au fur et à mesure, le comportement du système parfaitement imprévisible ou provoquant encore, la survenue de certains effets de composition plus que fâcheux. Le résultat apparaîtra de toute évidence toujours très différent de celui prévu et prendra un caractère irrémédiablement contre intuitif

 

Des coyotes et des hommes

 

La lutte contre la prolifération des coyotes aux Etats-Unis nous fournira une trame qui puise au cœur de ces retournements spectaculaires. Aidés des autorités américaines, de nombreux propriétaires de ranch ont investi depuis plus de 100 ans des sommes colossales pour protéger leurs cheptels des attaques des coyotes. Au cumul, sur les 100 dernières années, plus de 3 milliards de dollars furent dépensés pour rémunérer les chasseurs, améliorer les pièges et perfectionner les appâts, réduire la fertilité des femelles. En bref, tout un arsenal de moyens fut conjugué dans l’unique but de venir à bout de ces prédateurs. Or le résultat est pour le moins ahurissant[1]. Lorsqu’au tout début du XIXe les coyotes n’étaient présents que dans 12 états à l’Ouest du Mississippi, ils colonisent aujourd’hui les 49 états des 50 que comptent les états Unis. Pis, les coyotes « modernes » qui se sont ainsi déployés jusqu’au faubourg de New York, sont 20 % plus grands et significativement plus dégourdis que leurs prédécesseurs. Comment en sommes nous arrivés là ? Les interventions humaines successives ont conduit un grand nombre de coyotes à se réfugier au Canada où, avant de reprendre le chemin du sud, ils firent souche avec une race de loup plus développée en taille. Par ailleurs, au cours de ces migrations forcées, la pression sélective de l’environnement permit de retenir une race de coyote adaptée à une gamme de climats très variée. Au final, les menaces que les interventions humaines firent peser sur le coyote augmentèrent les pressions de la sélection naturelle et contribua, contre toute attente, à renforcer la propagation de l’espèce. L'histoire des coyotes est instructive. Elle montre encore une fois qu’en dépit - ou à cause - d’efforts parfois considérables, nos tentatives pour régler le cours de certaines situations se soldent par des retournements aussi inattendus que profonds. Nous agissons, certes, mais le résultat de nos actions nous apparaît contraire et semble poursuivre, par d’autres moyens, des fins qui nous échappent. Sentiment déroutant que celui de se sentir totalement étranger à la fin d’une pièce de théâtre dont on a pourtant assuré l’écriture, la mise en scène et la réalisation.

 

Coulé de l'intérieur

 

Le « Normandie » restera le bateau de tous les superlatifs. Ses dimensions et ses performances sortaient proprement de l’ordinaire et marquaient la maîtrise définitivement acquise de la navigation commerciale. Il pouvait rallier le port de New York depuis celui du Havre en moins de six jours de navigation. Les cales des chantiers de Saint-Nazaire puis les quais du port du Havre durent même être transformés et agrandis pour réussir à accueillir les dimensions hors normes de ce paquebot. Au final, de sa mise en service, le 29 mai 1935, à la fin de son exploitation commerciale, en 1941, plus de 130 000 passagers furent acheminés de part et d’autre de l’atlantique Nord. La carrière de ce fleuron fut pourtant stoppée nette dans la nuit du 9 au 10 février 1942. A l’entrée de la seconde guerre mondiale, l’armée américaine, bien décidée à donner à la carrière commerciale de ce fleuron une toute autre orientation, choisit de le baptiser « Lafayette » et de le réarmer en transport de troupes. Au cours de ce banal exercice, un incendie d'origine accidentelle se déclara à son bord. La panne du système de sécurité prévu pour lutter contre le feu conduisit les pompiers et les bateaux-pompes de la ville de New York à déverser des trombes d’eau sur les superstructures du navire. Ce qui pu apparaître comme une solution évidente de sauvetage parfaitement orchestrée par les autorités du port scella au contraire le destin du paquebot. Rapidement alourdi par plus de 6 000 tonnes d'eau, le Normandie déséquilibré, chavira et finit sa vie dans les eaux gelée de l’Hudson.

 

Sans le savoir ceux qui s’efforçaient alors de sauver du feu le paquebot ne firent que précipiter son naufrage. Les interventions des pompiers ont produit l’inverse de ce qui était attendu. Ils se sont même ingéniés à favoriser l’expansion du problème qu’ils ambitionnaient initialement de combattre. Au final, la solution devint pire que le mal et sa mise en œuvre contribua à couler le Normandie mais … de l’intérieur. Fort, non !

 


 

[1] Richard T.PASCALE : « Naviguer aux frontières du chaos », L’Expansion Management Review Sept. 1999

 

 


11/06/2015
0 Poster un commentaire

Ces blogs de Politique & Société pourraient vous intéresser