Order-from-noise

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Terminal 2F

Le terminal 2F de l'aéroport Charles de Gaules m'est familier. Aux premières lueurs du jour, cintrées de verre et d'acier, les hauteurs du hall plongent sur des files compactes de passagers somnolents. Seuls et attroupés aux portes de l'embarquement, nous sommes nombreux à avoir choisi pour seule compagnie celle de notre valise. La présence de cette valise à nos côtés est le fruit d'un calcul simple. En me dispensant de placer ma valise en soute, je vise à me soustraire des longues minutes d'attente nécessaires pour récupérer ma valise au terme de mon vol. Pourtant, si à l'origine, la finalité de chacun a bien été de se dispenser d'une attente superflue lors du retrait de leur bagage à l'atterrissage, peu prendront par la suite conscience que cette micro décision individuelle, combinée à celle de tous les autres de conserver leurs valises, aura pour effet de retarder l'embarquement et de leur infliger un délai d'attente supplémentaire. Comment cela se peut-il ? Très simplement. Car, lors de l'embarquement, si chacun a conservé sa valise, tous seront nécessairement conduits à stationner plus longtemps et debout dans la travée centrale à attendre l'installation des passagers affairés à ranger leurs valises dans un casier que d'autres auront patiemment contribué à saturer. Concrètement, nous devrons supporter un durée supplémentaire d'attente parce que, de manière uniforme et répétée, nous avons tous fait le même choix intelligent de vouloir gagner du temps. Il est évident que beaucoup évoqueront les bonnes raisons qui les ont poussées à se dispenser de placer leurs valises en soute lors de l'enregistrement mais tous nieront unanimement être en quoique ce soit responsable du délai supplémentaire qui affectera la durée totale de l'embarquement. Le problème est donc toujours le même : lorsque se combine ou s'agrège, dans un espace-temps donné, un nombre considérable d'actions dotées de la même finalité, ces dernières produiront des résultats négatifs ou auront des conséquences sociales non voulues qui dans bien des cas seront contraires aux intérêts de l’ensemble. « Perdu dans la multitude, l’individu n’aperçoit presque jamais l’influence qu’il exerce. Jamais sa volonté ne s’empreint sur l’ensemble ; rien ne constate à ses propres yeux sa coopération (1)». Portés par une définition étroite de son intérêt propre, la recherche intentionnelle d'un gain individuel sécrète au final une attente collective non voulue dont la durée se révèlera très supérieure à celle à laquelle chacun voulait échapper.

 

Cet allongement de la durée de l'embarquement, dont les causes sont pourtant bien connues, devrait forcer les compagnies aériennesl à réagir ; ne serait-ce pour retrancher du temps total de vol ces minutes inutiles d'attente qui grèvent le coût des opérations lié à l'embarquement. Selon certaines estimations, chaque minute passée sur le tarmac d’un aéroport coûterait, en moyenne, 30 dollars à la compagnie ; si vous multipliez ce montant par le nombre annuel de vols d'une compagnie, je vous laisse imaginer les gains. Mais très étonnamment, il n'en est rien. Pis, la procédure d'embarquement généralement employée serait même celle dont l'impact est le plus important sur l'allongement du temps moyen d'embarquement.

 

Back-to-the-front

 

 

Jusqu'à présent, la technique majoritairement utilisée - appelée "back to front" - consiste à embarquer en premier des groupes de passagers dont les numéros de rangs sont les plus élevés puis à procéder à rebours pour les passagers des rangs inférieurs et ce afin de remplir l'avion du fond vers l'avant de l'appareil. Bien que très usitée, cette procédure n'en est pas moins inefficace. Elle crée des conditions qui rendent le temps moyen d'embarquement beaucoup plus lent que d'autres méthodes dont la supériorité a pourtant déjà été prouvée. En fait, elle apparaît même la méthode la plus chronophage - cf graphique -.

 

Expliquons-nous. Puisque de petits groupes de passagers sont autorisés en même temps à accéder aux mêmes rangées et aux mêmes coffres à bagages, la probabilité est élevée pour que certains passagers doivent rester debout plus longtemps que nécessaire ; soit pour écarter les valises qui encombrent le casier, soit pour permettre à une personne déjà assise de se relever afin de laisser passer un passager affecté au hublot. La répétition de ces mouvements bien que localisés sur une portion de l'appareil ne manquera pas toutefois de se propager de manière rétrograde et de ralentir l'embarquement sur toute la longueur de l'allée centrale.

 

En 2012, à l'occasion d'une émission américaine Mythbusters, 173 personnes ont été mobilisés pour simuler le processus d’embarquement dans une réplique d’avion et selon différentes méthodes. Les résultats(1) ont montré qu'avec le procédé "back to front", il aura fallu plus de 24 minutes pour finir l'embarquement des 173 passagers contre à peine plus de 14 minutes en utilisant la méthode d'embarquement de la compagnie aérienne américaine Southwest Airlines. Cette méthode est radicale. Elle n'assigne pas de siège aux passagers et les laisse monter dans l'avion et prendre place là où ils le désirent sur la seule base de leur ordre d'enregistrement. Cette méthode est certes la plus efficace mais elle est source de stress et d’énervement pour les passagers car ils leur faut opter pour une rangée et une place sans autres consignes. Par ailleurs, cette méthode n'est pas exempte de problèmes. Si l'installation des passagers dans l'avion est plus rapide, ce résultat suppose que les passagers se soient préalablement rangés en file d'attente conformément à leur ordre d'enregistrement. Aussi, le temps gagné dans les travées présuppose une contrepartie : celle non négligeable d'un temps consacré à l'arrangement des passagers lors de la constitution de la file d'attente en amont de l'embarquement. Par ailleurs, à supposer que plusieurs passagers souhaitent voyager ensemble, ils devront de surcroît veiller à s'enregistrer ensemble. A défaut, ils devront gentiment braver le refus de certains passagers déjà assis et négocier leur permutation. Cette situation pourra entrainer d'inopinés changements de places contribuant à encombrer de nouveau la travée centrale.

 

Outside-In

 

Une autre méthode dite "Outside-In" paraît à ce jour également très efficace. A l'instar de la méthode "Southwest", 15 minutes auront suffit pour installer les voyageurs. Cette méthode s'appuie sur un embarquement séquentiel. Sans pour autant procéder du fond vers l'avant de l'appareil, cette méthode consiste à faire entrer en premier les passagers possédant une place "fenêtre", puis ceux du milieu et en dernier ressort ceux placés à côté du couloir. Cette méthode peut néanmoins entrainer une certaine gêne car les passagers sont placés séquentiellement selon la localisation de leur siège. Selon cette affectation, des groupes voire des familles peuvent donc se trouver séparés le temps du voyage.

 

En rupture avec les procédés dits séquentiels, une autre méthode d'embarquement dite "aléatoire", utilisée depuis 2009 par US Airways(3) apporte quelques gains. Cette méthode consiste à faire monter les passagers de manière complètement aléatoire, tout en gardant des sièges assignés pour les personnes. Même si un risque de congestion existe toujours, il aura fallu 7 minutes de moins que la méthode standard "back to front" pour remplir l'appareil.

 

Enfin, réunissant apparemment tous les avantages car plus efficace et moins stressante que les précédentes, la méthode du Docteur Jason Steffen pourrait demain concerner de nombreux usagers. De manière assez similaire à la méthode "Outside-in", les passagers embarquent selon le type de siège qui leur a été attribué (fenêtre, milieu, couloir), mais afin de supprimer tout risque d’embouteillage dans les couloirs, cette méthode prévoit de ne remplir qu'un côté de l'avion à la fois. Aucune compagnie n'aurait pour l'instant sauter le pas !

 

Ainsi, assez étonnamment alors que certaines méthodes sont disponibles pour raccourcir le temps d'embarquement et diminuer la gêne des passagers, les compagnies aériennes maintiennent certaines méthodes définitivement sous-optimales. Apparemment les passagers placés en "premières" et autres "business class" pensent pouvoir se dédouaner de ces piétinements inutiles en payant plus chers leurs billets. Par conséquent, ils auront ainsi pris place à l'avant de l'avion bien avant que l'attroupement ne colonise les travées de l'avion. En apparence seulement : parce que même s'ils ont troqué de l'argent contre du temps, cette stratégie s'avère peu efficace pour diminuer le temps globale d'attente de tous les passagers. Car, quelque soit les sommes déboursées, les usagers "business" ne pourront décoller avant que le reste des passagers ne se soit assis. Par conséquent, il reste à se demander quels avantages réels procurent ce passe droit - accès aux journaux - si les "embouteillages" à l'arrière de l'avion poursuivent de mettre tout le monde en retard ?

 

Il reste en tout état de cause une solution à la portée des compagnies aériennes et qui j'en suis sûr ne serait tarder : l'interdiction des bagages en cabine !

 


1/ Benjamin CONSTANT - De la liberté des anciens comparée à celle des modernes - 1001 nuits ed. n° 566 - P.21

2) http://www.lefigaro.fr/voyages/2014/11/28/30003-20141128ARTFIG00145-embarquer-n-importe-comment-est-plus-efficace.php

3/ http://www.iconomix.ch/fr/blog/1079-comment-embarquer-dans-un-avion-de-maniere-efficace/



13/11/2015
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