Order-from-noise

Pour un couple l'achat du siège auto est un acte important. Cet acte d'achat rejoint, après celui de l'appartement, de la voiture ou du frigo, la série des nombreux rites qui testent la solidité du couple. Il implique de se conclure à deux parce que le placement de cette prothèse à l'arrière du véhicule exige tout à la fois d'intégrer la dimension technique propre à son installation et celle, malgré tout plus subjective, liée au confort et à la sécurité du rejeton. Or, sur ce point tous s'accordent à louer l'avantage du siège auto sur tout autre dispositif et notamment sur celui de la ceinture de sécurité. Il est formellement établi que le siège auto est le moyen le plus efficace pour réduire le taux de mortalité en cas d'accidents de la route. Le prix élevé de ce dispositif en crédite l'idée et les nombreuses heures passées à dominer l'enchevêtrement des harnais et autres sangles pour solidariser la coque avec la banquette arrière de sa voiture, en construisent la certitude. Le dispositif est si complexe à déployer qu'il entretient la preuve de sa supériorité. Je concède pour ma part n'être jamais réellement parvenu à l'installer correctement ... comme 20% des usagers !

Une industrie au service de l'illusion

Les américains consacrent chaque année plus de 300 millions de dollars pour acheter 4 millions de ces sièges. En France, avec plus de 827 000 naissances en 2011, le marché du siège auto reste dynamique avec environ 1,2 Millions de pièces vendues par an. On estime que le budget consacré au premier enfant par de jeunes parents trentenaires est de 4 K€ ; celui consacré au siège auto supérieur à 300 €. Prodige du marché, les parents se laisseront convaincre de faire évoluer le siège auto selon l'âge de son enfant, et ce dernier sera amené vraisemblablement a user 3 types de siège en grandissant. Maintenant quelle preuve a-t-on de l'efficacité de ce dispositif au regard de celle offerte par la bonne vielle ceinture de sécurité qui équipe tous les véhicules ? Posons immédiatement le principe que le siège auto réduit de 54% la probabilité d'un accident mortel par rapport à la situation d'un enfant ... non attaché. En l'absence de toute protection, le siège apporte donc un bénéfice. Nous voila bien avancés. Maintenant examinons l'autre aspect, quel progrès apporte le siège par rapport à la ceinture de sécurité ?

Dans la suite de l'excellent ouvrage Freakonomics, Steven D.Levitt examina avec attention cette prétendue supériorité [1]. Il fut convaincu que pour des enfants de 2 ans et plus, le siège auto ne protégeait pas mieux notre progéniture des accidents que la ceinture de sécurité. Les chiffres sont intéressants. Au dessus de 2 ans, la proportion de décès dans un accident est presque identique pour des enfants placés à l'arrière d'un véhicule équipé d'une ceinture ou d'un siège auto surélevè [2]. Pour les chocs arrières ayant conduit à un décès, les chiffres plaideraient en faveur de la ceinture de sécurité. L'explication qui est donnée de ces mauvais résultats a partie liée avec la mauvaise installation des sièges, que seuls 20% sauraient manier à la perfection.

Il va de soi que ce tableau fut évidemment très mal accueilli. Par le marché notamment. Ce dernier fut confronté en effet à un défi majeur et inédit. Il s'agissait en effet de concurrencer un produit gratuit, simple, et à l'efficacité reconnue par la commercialisation d'une solution, couteuse, complexe à opérer dont l'efficacité est contestable. Par les parents d'autre part, qui ne pouvaient se résigner à admettre qu'un dispositif cher et sophistiquer puisse offrir un niveau de protection tout juste comparable à celui d'une ceinture de sécurité quasi gratuite et simple d'installation.

Le port de la ceinture, désormais adopté sans conteste par tous les automobilistes, a réduit le risque mortel de 70% et a sauvé environ 250 000 vies depuis 1975 aux États-Unis [3]. Le nombre de tués est encore de 40 000 par an. Même si la France paie un tribut beaucoup plus faible avec 3 400 tués en 2014, le nombre de tués aux Etats-Unis, ramené au 5 milliards de kilomètres annuels, ne représente qu'1 mort pour 75 millions de kilomètres, soit une occasion de périr tous les 285 ans. Comme le rappelle Steven D.Levitt, avec un coût de 25 dollars, la ceinture de sécurité et l'un des dispositifs de protection dont le rapport efficacité-coût reste le plus avantageux. Maintenant, nombreux sont ceux qui objecteront, qu'en cas d'accident, la ceinture est à l'origine de blessures thoraciques plus importantes que celles constatées auprès de victimes d'accidents survenus au sein d'un véhicule doté d'un siège auto. L'analyse en contredit pourtant encore le fait. Les données ne démontrent pas un degré de gravité réellement supérieur pour les blessures d'enfants assis sur un siège par rapport à ceux simplement ceinturés.

Alors, dans la mesure où le siège arrière des véhicules de tourisme sont généralement ceux que l'on dédie aux enfants, ne suffirait-il pas avec un peu de concertation, de concevoir des ceintures ajustables à l'arrière de tous les véhicules. Mieux, ne pourrait-il pas exister un dispositif proposé en standard qui permettrait de surélevé transitoirement la banquette arrière afin que les points de tension de la ceinture se trouve ajustés à la morphologie d'un enfant de plus de deux ans ? Ne serait-il pas plus astucieux, pour un constructeur de véhicules et son équipementier, de consacrer un minimum d'investissement pour soulager les parents d'un investissement couteux qui par ailleurs ne démontre aucun avantage majeur dans la protection apportée aux enfants.

En parfait contrepoint, le législateur en rajoute. Il décide tout bonnement de rendre obligatoire l'installation de ce dispositif, sans autre procès. L'industrie équipementière est donc lancée dans une oeuvre qui entretien toute une industrie au service d'une illusion, celle de la sécurité. Circulez, y a rien à voir.

[1] Steven D.Levitt - SUPER FREAKONOMICS - 2010 Coll Denoël - pp 213-224

[2] ibid p 217

[3] ibidem p. 212