Order-from-noise

Le problème vient avec le nombre

La décision d’un individu de se joindre au trafic n’aura qu’une influence marginale sur la congestion du trafic à venir. Les causes d’une inondation dévastatrice liée à un ruissèlement excessif des eaux de pluie ne pourront être imputées à la décision d’un individu de déboiser son terrain pour en exploiter la surface. L’épargnant affolé qui se précipite pour retirer son épargne d’une banque dont il redoute la faillite n’aura eu qu’une influence infinitésimale sur la faillite qui s’annonce. Chacun pourra se défendre d’avoir eu de bonnes raisons de rejoindre l’autoroute, de déboiser son territoire afin de disposer de terres plus vastes ou de sauver son épargne. Le problème ne vient pas de la décision d’un individu. Le problème survient lorsqu'un nombre important de personnes est conduit à poser ensemble, de manière uniforme et répétée, le même acte. La durée d'attente que chacun supporte lui est imposée par tous ceux qui se sont joins au trafic. Il y a inondation parce que, sur des périodes importantes, des territoires entiers ont été rendus au béton retirant aux arbres la possibilité de s’opposer à l'écoulement naturel des eaux. Il y a faillite parce que l’action de retirer son épargne sera bientôt répétée par l’immense foule des épargnants prise de panique. Or, lorsque se combine ou s'agrège, dans un espace-temps donné, un nombre considérable d'actions dotées de la même finalité, nous devons nous préparer à aller au devant de grandes déconvenues. C’est en somme parce qu’une multitude d’individus auront décidé de poser le même acte que tous finiront par être en retard, inondés ou ruinés. Le problème survient donc lorsque des comportements individuels parfaitement intentionnels se juxtaposent et finissent par produire des effets collectifs non recherchés et non prévus. Le problème vient donc avec le nombre et il s'exagère même à raison de la taille du groupe. 

Le nombre appelle le nombre

Lorsque le bruit d'une salle de restauration couvre votre conversation, vous élevez naturellement la voix pour vous faire entendre et ajoutez donc du bruit au bruit que les convives devront de surcroît surmonter en élevant également la voix. L'épargnant qui se rue au guichet alerté par la faillite de sa banque, vous convainc de l'imminence de cet évènement et vous conduit, précédé de tous les clients de cette banque, à en précipiter la chute. Il suffit qu'une seule tondeuse brave l'interdit de son usage dominical pour que très vite d'autres propriétaires, soudain libérés de tous remords et du risque d'une réprobation future, s'autorisent à tondre transformant alors votre dimanche en enfer. Au delà d'un certain seuil de population, l'encombrement de votre plage habituelle vous fera préférer un autre lieu dont vous changerez, par votre présence, la fréquentation. Ce que vous décidez affecte ce que les autres feront et ce qu'ils feront façonnera en retour ce que vous ferez. Il n'y a rien de particulier à cela si ce n'est que la façon dont vous réglerez votre conduite sur celles des autres dépendra très directement du nombre de ceux qui auront choisi d'adopter cette conduite. Les cas précités traitent de situations au sein desquelles la façon dont les gens règlent leur conduite se trouve précisément renforcée en raison même du nombre de gens qui auront choisi de s'y mêler.

Il en va ainsi de la manière de nous saluer, de donner un invitation ou d'y répondre, de porter une cravate ou non, du choix de nos vacances, du choix du moyen de transport pour nous y rendre ainsi que de la date retenue. Il en ira de même du tutoiement, de l'accent de nos enfants, du choix de leurs activités de loisir, du choix de leur prénom mais également de la nationalité des étrangers que nous côtoierons le soir en sortant la poubelle. Il en ira enfin de même lorsque nous choisirons de nous marier ou au contraire de rester célibataire, de l'âge où nous choisirons de sceller notre union et surtout du choix de notre partenaire. Mais il en sera de même également, du choix de nos études, de nos amis, de nos soirées, de nos fêtes de famille, du montant des pourboires que nous laissons, des dons que nous faisons, du choix des associations ou du mouvement militant auquel nous choisirons d'adhérer. En bref, nous parvenons à nous coordonner parce que nous réglons notre conduite en nous contentant de suivre les règles que certains ont adopté. Cela nous assure au final de nous coordonner durablement, sans effort ni réflexion et avec les plus grandes chances de succès, parce que nous aurons sélectionné des règles dont certain ont tiré avantage.