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Les dérives de l'auto

Les dérives de "l'auto"

Autonomie, autocontrôle, autorégulation, autorité, auto-motivation : trouvez l'intrus ! Avec l'entreprise libérée on parvient au seuil d’un imaginaire où les décisions seraient prises en toute conscience par des individus souverains, égaux et libres de s’associer aux retournements miraculeux de sociétés en dépôt de bilan. Bref, sans chef, comment se règle le passage de tels individus vers une action collective organisée ? Réponse : Ça s'auto-organise ? C'est un peu court.

Le phénomène de l'entreprise libérée agrège toute une somme d'aspirations hétérogènes et de nouvelles représentations de l'organisation. Son développement puise à la source d'une idéologie de l'harmonie sociale et de rapports sociaux égalitaires - http://bit.ly/2dUb1Df - nourris du principe que l’homme est "bon". Accordant à l'initiative individuelle un rôle central, sa popularité se construit en creux sur la critique de modèles hiérarchiques incapables de se reformer. Alors, à la recherche des ressorts de cette "libération", on en vient à affubler du préfixe "auto" certains concepts pour finir par mettre sur le même plan des dynamiques que tout oppose : Autogestion vs auto-organisation.

Alors une entreprise libérée, c'est quoi ? A l'origine, il y a une vision incarnée par un leader. Des valeurs partagées soudent la communauté à un projet commun. A la critique de toutes formes de hiérarchie et de contrôle, répondent l'exaltation de l'initiative et la subsidiarité comme viatique vers l’agilité.

L'entreprise libérée brouille les cartes. Aux configurations de Mintzberg - par exemple -, elle emprunte à l'Autocratie son gourou fondateur/leader "libérateur", à celle de l'Adhocratie ses experts, ses projets et sa flexibilité, - et, à la structure Missionnaire, le dévouement à une mission avec, comme mode principal de coordination, la primauté donnée aux "ajustements mutuels" .

A ce stade, une confusion peut déjà être démêlée. Si l’auto-organisation implique que des "agents" autonomes agissent à partir de lois qu’ils se donnent en l’absence de références externes, il paraît évident que l’entreprise libérée ne relève pas de cette dynamique. Ce modèle managérial met en scène des individus dont les actions, choisies collectivement, se réfèrent à une mission qui leur préexistait. L’ordre est déjà là, donné de l’extérieur.

Pour mieux apprécier encore le décalage avec la dynamique d'un système auto-organisé prenons le cas simple d'une foule piétonnière.

Quand on laisse une foule libre de se former, il est fréquent de constater que le flot des piétons se scinde spontanément en deux lignes de piétons progressant en direction opposée ; l'une occupant une moitié du trottoir tandis que l'autre se réservant l'autre moitié. Nos trottoirs parisiens, les allées de nos Grands Magasins, les couloirs du métro en sont les témoins et encouragent la formation de files disciplinées. Sans que les piétons n’en aient formés le projet mais sans jamais pour autant cessés d'en être les protagonistes, une organisation collective plutôt intelligente émerge. Elle est un effet de composition de règles locales d'évitement répétées de proche en proche. L'une des conséquences de la répétition de cette règle simple est d'améliorer la qualité du trafic en réduisant notamment les risques de collision - http://bit.ly/2eDO584 -. Ce pattern collectif forme une solution plutôt efficace à un problème de coordination. Il s'agit d'une forme auto-organisée qui ne dépend pas d'une volonté externe ou d'une décision centralisée. Cette organisation ne provient pas de forces extérieures mais de l’interaction de ses éléments. L'ordre est produit de l'intérieur : les files de piétons émergent des interactions locales entre les individus. Chaque piéton poursuit son but même s'il demeure rigidement connecté aux comportements de ses proches voisins. Nous sommes ici en présence d'une multitude de décisions décentralisées qui se reconfigurent de gré à gré par des personnes qui ignorent au final à quoi ressemble une bonne façon de circuler. Ils marchent. Les piétons décident dans l'instant ce qu'ils font en coordination avec tous les autres et contribuent ainsi à l'émergence d'un ordre qui aurait pu être tout autre.

Avec l'auto-organisation, il n'y a donc aucun projet commun partagé, aucune valeur ne soude le collectif : les piétons ne règlent leur course sur aucun récit, aucun vote, aucun consentement ou délibération. L'entreprise libérée ne relève pas de l'auto-organisation. En surplomb, il existe toujours un projet fondateur, un récit, un projet qui est interprété. La concertation et l’orientation vers un but collectif sont les traits de l'autogestion non de l'auto-organisation. Chacun oriente ses transactions, régule ses échanges et collabore sur la base d'une idée que tous se font du résultat collectif à atteindre. Distinguons donc l’autogestion de l’auto-organisation qui en est l'exact contraire : l'auto-organisation produit du nouveau, de l’imprévisible, de la nouveauté, l'autogestion vise à la conservation du système.



24/10/2016
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