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Les routes de la servitude

Un monstre chronophage

 

Bloqués dans notre véhicule, nous sommes des milliers à nous persuader que l'usage de notre véhicule représente le moyen le plus rapide pour rejoindre notre boulot.

 

Mais, l'usage de notre voiture contribue-t-il réellement à rendre nos déplacements plus rapides ?

 

Si nous ne prenons en compte que la distance parcourue et son temps de trajet, notre jugement est imparfait.

 

Pour rappel tout le monde sait que la vitesse "mécanique" est le rapport entre la distance "D" parcourue et le temps "t" passé à la parcourir. soit v=D/t.

 

Or, pour être plus juste, il nous faut prendre en compte non seulement le temps de son trajet mais également le temps nécessaire à son financement. Les choses deviennent alors tout de suite plus intéressantes. En effet, notre véhicule nous oblige. Nous lui consacrons un grand nombre d’heures de travail pour assumer son achat, payer les intérêts de son emprunt, le carburant, l'assurance, ... Dés lors, en introduisant le temps moyen de travail dans la somme du temps effectif de déplacement, on montrera que la vitesse de déplacement d'un automobiliste tangente au final celle d'un cycliste et reste à peine plus élevée que celle d'un piéton. 

 

Vitesse généralisée

 

Jean Pierre DUPUY et Ivan Illich ont été ainsi été les premiers à populariser l'idée d'une vitesse généralisée ( DUPUY J.-P., ROBERT J., 1976, La trahison de l’opulence, PUF, Paris, pp 40-41 ). Ce concept conduit à envisager de convertir le temps de travail en ressources nécessaires à son déplacement. Nous obtenons ainsi un rapport entre la distance parcourue et le temps que l’on met à la parcourir auquel on additionne le temps que l’on passe à se donner les moyens de son déplacement. Très schématiquement on a : Vg = D / t + t de travail

 

Pour être plus précis encore. « On estime toutes les dépenses annuelles liées à la possession et à l’usage d’une automobile [...]. Ces dépenses sont converties en temps, en les divisant par le revenu horaire : ce temps est donc le temps qu’il faut passer à travailler pour obtenir les ressources nécessaires à l’acquisition et à l’utilisation de sa voiture. On l’additionne au temps passé effectivement à se déplacer. Ce dernier est estimé à partir du kilométrage annuel moyen, de la répartition de celui-ci en types de déplacements [...], du croisement de cette répartition avec une répartition selon des types de vitesses [...] et d’une estimation de ces vitesses. On ajoute, enfin, pour mémoire, les autres temps liés à l’utilisation de la voiture : temps passé personnellement à l’entretien, temps perdu dans les bouchons, temps passé à l’achat d’essence et d’accessoires divers, temps passé à 1’hôpital, temps perdu dans des incidents, etc. Le temps global ainsi obtenu, mis en rapport avec le kilométrage annuel, permet d’obtenir la vitesse généralisée cherchée ..." ( ibid DUPUY J.-P., p. 41 ).

 

Sous cet éclairage, notre automobile nous apparaît évidemment sous un nouveau jour mais surtout comme un "monstre chronophage". En 1970, ILLICH remarquait déjà que « L’Américain moyen consacre plus de mille six cents heures par an à sa voiture [...], qu’il l’utilise ou qu’il gagne les moyens de le faire [...], pour parcourir dix mille kilomètres [par an] ; cela représente à peine 6 kilomètres à l’heure. » (Énergie et équité - I.ILLICH 1975 ) -

 

 

 En France, en 2014 la distance moyenne parcourue par un véhicule diésel était de 15.400 km/an¹. Pour un Clio Diesel, le coût annuel moyen en 2014 était de 6 000€/an², soit un équivalent de 410 heures de travail avec une base salariale journalière moyenne de 14,6 € nets³ - Salaires horaires nets toute population et sexe en 2013 - Sur ces bases, un individu qui roule en moyenne à 50 km/h se déplace donc pendant 308 heures. Si on intègre le temps de travail pour financer sa voiture, on arrive à une vitesse généralisée proche de 22 km/h (15 400km / ( 308 h + 410 h)). A supposer que cet automobiliste roule avec une moyenne de 100 km/h, sa vitesse généralisée ne serait, toute chose égale par ailleurs, que de 27 km/h.

 

Entre août 2012 et Octobre 2013, j'ai personnellement parcouru 41 000 km en restant assis exactement 726 heures au volant de ma voiture. Bien que confortablement assis, cette prouesse m'a valu de rester figé plus 4,7 mois de temps de travail effectif - sur une base mensuelle de 151,67 h - et de parcourir l'ensemble de ce trajet avec une vitesse moyenne mécanique de 56,5 km/h. Bel exploit. Maintenant, si je prends mon salaire horaire et mon Prix de Revient annuel au km - 0,60 € - , ma vitesse généralisée ramenée sur 12 mois aura approché la vitesse vertigineuse de ... 34 km/h.

 

Plus on va vite, moins on avance loin !

 

Pour augmenter cette moyenne, l'idée évidemment serait de penser rouler plus vite. Or, compte tenu des encombrements et des limitations de vitesse, ma vitesse mécanique ne peut que faiblement progresser. En pratique, si on augmente notablement sa vitesse mécanique, le coût au km va nécessairement augmenter. Mes dépenses de carburant, l'entretien et la dépréciation consécutive évoluant en proportion de ma vitesse mécanique, ma vitesse généralisée diminuera inéluctablement. Je n'ai au final que deux solutions qui ne dépendent plus des capacités de mon véhicule mais de ma capacité à gagner plus ou à diminuer les coûts inhérents à l'achat et à l'entretien de mon véhicule. Autrement dit, plus on va vite mécaniquement et moins on va vite globalement !

 

Travailler plus ou dépenser moins pour aller plus loin. On montre ainsi et de manière évidemment choquante que le temps réel total consacré à ce bolide augmentant inexorablement conduit par voie de conséquence à une réduction de sa vitesse moyenne de déplacement.

 

Cela introduit donc l'idée que la vitesse de mes déplacements dépend fortement de données socio-économiques - salaire -. Aujourd'hui, si l'on transforme son travail en équivalent distance, la vitesse mécanique maximale d'un véhicule devient contreproductive. Une BMW X3 pour des migrations pendulaires professionnelles n'apporte aucun bénéfice en terme de vitesse généralisée bien au contraire. A salaire constant, l'usage d'une Logan aura de toute évidence une vitesse généralisée de déplacement bien supérieure. L’absurdité d'une telle situation n’apparaît pas encore évidente car dans bien des cas seule la vitesse est mise en avant sans faire toutefois de lien avec le temps que nous mange cette auto.

 


 

¹http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF13629 Source INSEE

²http://www.lefigaro.fr/conso/2015/06/18/05007-20150618ARTFIG00185-l-entretien-et-l-assurance-font-flamber-le-cout-annuel-d-une-voiture.php

³http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF04115

 



09/02/2016
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